Bouddhisme Chan



Le Chan  禪 «méditation silencieuse», transcription en mandarin du sanskrit «Dhyāna», est une forme de Bouddhisme mahāyāna puisant son origine en Inde mais qui est née en Chine à partir du Ve siècle et qui s'est développée avec une influence daoiste.
Le Chan est devenu à partir du IXe siècle une des deux plus grandes écoles du Bouddhisme chinois avec l'école de la Terre Pure (Jing Tu 淨土).
Le Chan s'est transmis de la Chine au Viêt Nam, en Corée et au Japon. C'est sous son nom japonais Zen, correspondant au mandarin Chan, qu'il est le plus connu en Occident.

Le Bouddhisme, venant originellement d'Inde, a été propagé par plusieurs voies, plusieurs classiques ont été diffusés à différentes périodes à différents endroits. Rajoutons à cela la compréhension de chaque peuple receveur et de sa culture autochtone: Daoisme et Confucianisme pour la Chine, Bön pour le Tibet, Shintoisme pour le Japon.
Chaque forme de Bouddhisme à sa propre particularité mais l'essence est la même: la compassion, la vacuité, nous avons tous la nature de Bouddha en nous.
 

Bouddhisme Chan 禅 et la cigale Chan 蝉
Le Bouddhisme Chan (l’ancêtre du Zen japonais) s’écrit 禅 Chan, faisant référence à la cigale 蝉 Chan (même son mais caractère différent) et son processus de transformation de la chrysalide pour sortir de sa coquille et de son stade de larve... une référence dans le Bouddhisme Chan (et l'alchimie interne daoiste) du processus de transformation et de raffinement pour sortir de sa coquille corporelle mortelle et limitée pour ainsi manifester l’âme éternelle et devenir "immortel".
Il est à noter que le Jin Chan 金蝉, ce qui signifie littéralement "cigale d'or" est une sorte de cigale dont le nom scientifique est Cryptotympana atrata Fabricius.
Et qu'il y a une expression chinoise qui dit "Jin Chan Tuo Qiao" 金蝉脱壳 ce qui signifie "s'échapper comme la cigale dorée de sa chrysalide" dans le sens de trouver un échappatoire... on
comprend ainsi pourquoi l'image de la cigale est utilisée par les bouddhistes et les daoistes.
Il est intéressant de noter que l'alchimie interne daoiste est aussi appelé "Jin Dan" 金丹, "cinabre d'or" pour les intellectuels mais que je traduis plutôt par le "Un de métal doré".

 

Quand on demande l'origine du Bouddhisme Chan, on a faire à plusieurs façons de répondre.
Une façon mystérieuse en disant qu’il vient du cœur (esprit) ou par une histoire très courante : « tenir la fleur, un sourire »  «拈花一笑».


"Tenir la fleur, un sourire"

“世尊昔在靈山會上,拈花示眾。是時眾皆默然,惟迦葉尊者破顏微笑。世尊雲:吾有正法眼藏,涅槃妙心,實相無相,微妙法門,不立文字,教外別傳,付囑摩訶迦葉。”
“Un jour,  Shakyamuni a donné un enseignement à Ling Shan (montagne spirituelle ou mont des vautours), pendant le cours, il prit une fleur (d’udumbara) et la montra au public silencieusement. Tout le monde était surpris qu'il ne parle pas, seul Mahākāśyapa a sourit. Shakyamuni a donc dit : j’ai un Dharma véritable pouvant éclairer les lois du cosmos et contenant toutes les choses, une voie du coeur (esprit) merveilleuse pouvant sortir du cycle des réincarnations pour atteindre le Nirvana, pour comprendre que les apparences sont vacuité (et illusion), une subtile voie du Dharma, pas d’écrit, un enseignement hors des classiques. Que je vais livrer à Mahākāśyapa. ”

Histoire qui a donné l’emblème du Bouddhisme Chan :

“不立文字、教外別傳,
 直指人心,見性成佛”
“Pas d’écrit,  
un enseignement hors des classiques  
qui touche directement le coeur (esprit) des humains,
voir l’essence et devenir un Bouddha (être éveillé). ”

 

  • “Pas d’écrit” : la particularité du Chan.
  • “Un enseignement hors des classiques” : rajoute le côté mystérieux du Chan, école différente des autres.
  • “Qui touche directement le cœur (esprit) des humains, voir l’essence et devenir un Bouddha (être éveillé) ” :  méthode pour atteindre l’éveil.

Mais cette histoire est apparue seulement à la dynastie des Song (960-1279) et ressemble plus à une légende pour se rallier au Bouddha Shakyamuni.

“Pas d’écrit, un enseignement hors des classiques”  mais Bodhidharma, 1er patriarche du Chan en Chine, aurait transmis 4 rouleaux du 《Leng Jia Jing》《楞伽經》à son disciple Hui Ke 慧可, les autres successeurs Hong Ren et Hui Neng, respectivement 5ème et 6ème patriaches du Chan, auraient entre autre enseigné la sagesse du 《Jin Gang Jing》  《金剛經》 ( 《Sutra du Diamant》en francais).
Hui Neng a aussi légué un précieux texte : 《Tan Jing》qui est le représentant du Bouddhisme Chan.
Le Chan a donc utilisé des textes et en a aussi écrits beaucoup.
Il faut comprendre la phrase: “pas d’écrit, un enseignement hors des classiques” comme un conseil de ne pas être bloqué par les textes et une autre voie à exploiter: celle du cœur (esprit).

Les autres écoles sont basées sur des classiques d’où le terme 教 « Jiao» qui veut dire enseignement.

Mais ici, le Bouddhisme Chan est hors des classiques (天台, 華嚴, d’où le terme Chan Zong (pas  Jiao),  une façon particulière de transmission: de cœur à cœur (esprit à esprit), et non par les classiques, différence avec les autres écoles bouddhiques qui est devenue la tradition Chan.

L’éveil subitiste est la particularité du Bouddhisme Chan.

Eclaircissements sur les caractères chinois :

  1. Aujourd’hui « zong jiao » (« 宗教») veut signifie « religion », mais c’est un concept occidental traduis du japonais, car « zong» et « jiao»  sont deux concepts différents. Dans le Bouddhisme :
  • « Zong» désigne le Chan Zong.
  • « Jiao» désigne d’autres écoles : Tian Tai, Hua Yan, Jing Tu (Terre Pure), etc
  • Ce qui est hors du Chan Zong est appelé « jiao».
  • « Zong» et « jiao» sont deux caractères chinois différents, mais mis ensembles ils forment « Fo Jiao»  qui veut dire originellement « l’enseignement du Bouddhisme » mais qui prend aujourd’hui le sens de « religion Bouddhiste », dernier sens auquel je n’adhère pas.

  1. «Chan» et «Chan Zong» sont différents:
  • «Chan»: un ensemble de méthodes de pratiques spirituelles commun et répandu au début de la civilisation indienne, et pas seulement dans le Bouddhisme, avec beaucoup d’éléments indiens et a leurs croyances
  • «Chan Zong»: Bouddhisme chinois, une école (zong pai) formée petit à petit en Chine à la période des dynasties des Sui et Tang.

Le Chan appartient pas au Bouddhisme mais à la culture indienne, tout comme les concepts de cause conséquence et de réincarnation mais c'est le Bouddhisme qui l'a apporté en Chine.
 
La voie du Bouddhisme Chan :
La voie du Bouddhisme Chan peut se résumer en trois mots: calme, concentration et sagesse.

  • 靜 jing, calme, qui passe par la détente du corps et de l'esprit, la respiration aidant à calmer,
  • 定 ding, concentration, un centrage pour trouver le juste milieu et ainsi atteindre un nouvel état de conscience,
  • 慧 hui, sagesse, que tout le monde a en soi et qu'il faut juste révéler.

Le Bouddhisme nous explique que tout le monde est égal, tout le monde peut devenir un Bouddha (être éveillé), pas de différence entre les êtres, il suffit d’ être éveillé à une autre réalité, plus essentielle que ce que l’on croit voir et entendre.

La voie du Chan propose de capter l’essence et de ne pas être bloqué par les textes, les mots et les formes. Elle ne donne pas de réponse fixe car l’affirmation est percue comme extrême, mais la voie du Chan permet aux gens de réfléchir et de changer de modes de pensée, c’est pour cela que le Chan utilise beaucoup les histoires pour faire passer des messages et faire réfléchir les gens pour ainsi qu’ils trouvent la solution en eux-mêmes (méthode que j’utilise dans ma pratique clinique de la psychothérapie).

Beaucoup pensent que le Chan se résume à la méditation assise, mais le Chan nous enseigne qu’il ne faut pas être bloqué sur les formes et qu’il ne faut pas quitter la vie de tous les jours, il ne suffit pas de méditer quotidiennement et d’être stressé avant ou après, il faut vivre, sentir et respirer le Chan à chaque moment. La méditation est une forme, elle est utile mais il ne faut pas être figé dessus et être cohérent avec soi même en étant dans un état de Chan à chaque moment.

Il faut vivre et sentir le Chan dans la vie de tous les jours : en parlant, marchant, en appréciant la présence d’un être aimé, d’un paysage, d’un plat ou d’une cérémonie de thé etc.

Le Chan permet de retrouver l’harmonie dans la vie de tous les jours et le moment présent: harmonie entre pratique spirituelle et vie quotidienne.
Mais de l'autre coté, il ne faut pas rejeter la méditation et les textes anciens car on tombe dans un autre extrême. La vision du juste milieu apporte l’équilibre et l’harmonie.

Il est nécessaire de méditer car cela permet l’apaisement du cœur (esprit), d’accéder à un nouvel état de conscience et de développer nos potentiels (ou capacités extra-sensorielles), mais il faut être cohérent dans la vie de tous les jours et être «zen» en toute circonstance,
Il est nécessaire de lire les textes anciens car il s’agit d’une tradition de plusieurs siècles et que les anciens sages nous nous laissés de beaux messages issus de longues et nombreuses expériences, mais ne pas être bloqué sur les mots et sentir à chaque moment le Chan dans sa propre vie, avec fluidité.

Vision du juste milieu :
La méthode du Chan n'affirme rien d’absolu, elle explique une chose en faisant une négation de son opposé:

  • le non être ou l'invisible ce n'est pas l’être ou le visible,    無:非有
  • l’être ou le visible, ce n'est pas le non être ou l'invisible.   有:非無

C'est la vision du juste milieu pour défaire toute obstination face aux apparences car ce sont des entraves à l’éveil. L’éveil ce n'est pas les connaissances, l’éveil dépasse les connaissances.

Il ne faut pas être bloqué par les apparences car on est trompé par nos sens qui nous apportent des soucis. Il faut dépasser nos 5 sens, il ne s’agit pas de l’emmagasinement des connaissances, mais du développement de la sagesse et du wuxing (compréhension extra-sensorielle).

Nos sens nous montre l’apparence non réelle, le faux moi 假我.

L’éveil nous montre l’essence réelle, le vrai moi 真我, clair et propre 清净 comme l’essence de Bouddha 佛性.

Le Bouddhisme explique que tous les êtres et les choses sont en fait le rassemblement de plusieurs conditions et que tous les être et les choses sont de nature vacuité 緣起性空, pas réel et pas éternel, le faux moi (Moi – ego) est aussi un rassemblement de conditions, de nature vacuité.

Il faut dépasser les informations que nous donne nos 5 organes, ce n’est qu’une partie de la réalité qui va engendrer l’obstination, et c’est l’obstination qui créé la séparation.

Mais notre société nous explique qu'il faut être obstiné, ou plutôt persévérer pour réussir... comment faire?

Travail sur le bonheur et la souffrance:
On est content quand on a ce qu'on aime, on est pas content quand on a pas ce qu'on aime.
On est content quand on a pas ce qu'on déteste, on est pas content quand on a ce déteste
L’origine du problème est donc le désir, naturel mais on doit être évité en excès.

Le lâcher prise:
Il faut se défaire des apparences pour comprendre l’illusion du phénomene du faux moi (Moi - ego) pour aller vers l'essence du vrai moi (Soi), comme la nature de Bouddha: clair et propre.

L’aumône (que l'on peut comprendre aujourd'hui comme le partage) est important pour se défaire de l’illusion que tout nous appartient et comprendre que plus on partage plus on reçoit (des mérites dans cette vie ou la prochaine).

La compassion est en chinois composé de deux caractères Ci et Bei 慈 et 悲,

  • 慈 Ci:  signifie donner du bonheur,
  • 悲 Bei: signifie enlever la souffrance.

Partage (matériel) et compassion (immatériel), deux moyens pour la paix dans le monde.
 

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Note :

Le Bouddhisme est de plus en plus apprécié en occident, notamment le Bouddhisme tibétain et Zen japonais (issu du Chan chinois).

D’un côté, il y a les intellectuels et historiens qui sont dans la théorie et la recherche sans expérimenter par la méditation et l’esprit du Chan dans la vie de tous les jours, et de l’autre les pratiquants qui méditent mais ne lisent pas les classiques chinois utilisant trop facilement la formule “pas d’écrit, un enseignement hors des classiques” et en galvaudant des mots comme “vide”, “coeur” et “amour”, s’éloignant ainsi des enseignements de Bouddha, de Bodhidharma et de Hui Neng en rajoutant leurs propres idées et ressentis, tout à fait honorables, mais souvent loin de la tradition et faisant des mélanges avec d'autres philosophies.

J’ai choisi la voie du juste milieu: faire une recherche historique et une étude des textes dans des temples, universités et bibliothèques en Chine depuis plusieurs années, mais aussi une pratique quotidienne de la méditation transmise par différents maîtres du Bouddhisme Chan et une application du Chan dans la vie de tous les jours. La tradition chinoise veut que les jeunes moines étudient et récitent tous les jours les textes sacrés, une base de l’éducation couplée à la méditation et à l’esprit Chan à chaque moment.

Il faut donc voir cet article comme ma simple compréhension et mon sincère partage de mon expérience du Bouddhisme Chan que j’utilise dans ma pratique clinique de la médecine du juste milieu (médecine chinoise) mais aussi pour une aide psychologique et spirituelle.
Les deux modes de pensées traditionnels de la médecine du juste milieu (médecine chinoise) sont la théorie du Yin Yang et des 5 mouvements mais les médecins bouddhistes chinois y rajoutent la théorie bouddhiste de la cause conséquence et du Karma pour ceux qui acceptent d’écouter une autre approche des origines des maladies ou l'on parle de la psychosomatique, de la psychogénéalogie et du Karma.

J‘ai traduis personnellement toutes les phrases chinoises issues des classiques bouddhistes citées dans cet article, vous êtes libre de les utiliser, mais merci de citer ce site internet s'il vous plait.

Je suis à votre disposition si vous êtes intéressés par un stage en Chine ou dans votre pays sur le Bouddhisme Chan et la méditation. Possibilité de rencontres avec des maîtres chinois.

 

Copyright © 2015 Lokmane Benaicha.
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